Un jour aux Jeux avec Jean-François Lamour

Publié le 6 mars 2024 à 10h00 dans Un jour aux Jeux

Jean-François Lamour, double champion olympique d’escrime (84 et 88), champion du monde (87), ministre des sports (2002-2007), aujourd’hui Vice-président d’Ovalto, se souvient avec émotion de son 2° titre olympique.

© André Lecoq/L’Équipe 23 septembre 1988

Et j’aperçus Christian d’Oriola…

Nous sommes le 24 septembre 1988 en début d’après-midi dans la salle qui accueille les épreuves d’escrime des JO de Séoul…

4 ans après ma médaille d’or de Los Angeles et 10 mois après un titre de champion du monde glané à Lausanne, j’aborde ces Jeux avec la ferme intention de montrer que le travail entrepris par notre maître d’armes hongrois Laszlo Szepesi allait être à nouveau couronné de succès. Nous sommes (les 3 français inscrits à l’épreuve individuelle : Pierre Guichot, Philippe Delrieu et moi-même) au sommet de notre forme.
Les éliminatoires ont démarré tôt le matin. Comme à chaque grande compétition, j’ai évacué le stress en supportant des douleurs lombaires pendant les deux jours précédents l’épreuve. Avec Szepesi, nous nous étions habitués à cette situation paradoxale. Avant chaque grand rendez-vous international, au top physiquement et techniquement, je me retrouvais à marcher comme un petit vieux à cause de cette satanée lombalgie somatique…
Je passais plusieurs fois par jour entre les mains des kinés qui me massaient et me strappaient le dos. Et le matin de la compétition, plus rien… tout était ok. Avec le temps , Laszlo et moi nous en souriions finalement…

Mais là, vers 14h00, je n’en mène pas large.
Je suis en phases éliminatoires face à Vasil Estropolski, un bulgare solide et rapide qui a la fâcheuse habitude d’attaquer bras court, ce que je n’aime vraiment pas.
Son allonge fait des dégâts dans ma défense et me voilà mené 6-3 ( le match est en 10 touches).
Bref, je suis à la ramasse. Et personne au bord de la piste pour me lancer un mot d’encouragement, un conseil avisé… Le staff est, à juste titre, aux côtés de Pierre et Philippe qui tournent comme des horloges.
Je m’en rends compte en jetant un coup d’œil rapide sur leur tableau de score respectif. Ça me fait une belle jambe parce que de mon côté, ça rame, ça rame…

Et là, alors que je reviens vers ma ligne de mise en garde en me demandant comment je vais endiguer la prochaine vague bulgare, je discerne, en bout de ma partie de piste, une frêle silhouette, un peu voûtée. Je la reconnaîtrais entre mille. C’est Christian d’Oriola , notre triple médaillé d’or au fleuret, notre maître à tous, qui était venu se poster là.

Christian était la boussole de l’escrime française. Jamais un mot plus haut que l’autre quand il nous parlait avec son accent méridional et ses yeux pétillants de malice. Nous, les sabreurs, il nous aimait bien avec notre petit brin d’irrévérence et notre envie folle, depuis le début des années 80, de montrer que le sabre français était capable de faire jeu égal avec les grandes nations de l’époque comme l’URSS, la Hongrie ou l’Italie.

D’instinct, Christian, sentant que j’allais mal, était venu se positionner près de moi pour me redonner un peu de gaz.
Alors, je suis allé vers lui, retardant de quelques secondes la mise en garde imposée par l’arbitre. Il ne m’a pas dit un mot, mais j’avais besoin de me rapprocher, presqu’à le toucher, pour prendre un peu de sa force mentale, de sa science de la piste.

Christian est resté là, quasi immobile, jusqu’à la fin du match que j’ai remporté. Je me suis alors dirigé vers lui. Pas d’effusion. Pas de mot. Juste un regard. Puis une main sur l’épaule. Il n’y avait besoin de rien d’autre pour le remercier d’avoir été là…

(Ndlr : quelques heures plus tard, Jen-François Lamour remportait son deuxième titre olympique)

Un commentaire

Florence RODET

Merci Jean-François de partager ce moment d’intimité. C’est rare ; avec cette réserve qui vous caractérise à l’image de cette main qui se pose sur l’épaule et qui en dit plus que bien des discours, fussent-ils de ministre 😉

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